Voici une lettre d'amour et d'adieu Ă©crite par quelqu'un dont je garderais l'anonymat ; Elle
est adressée à sa bien aimée partie il y a quelques jours ...
Ces mots m'ont énormément touchés , je tenais à vous les faire partager ;
Merci Mimi ...
"Je t'aime
Quand le coma te gagnait, le médecin pensait que tu ne percevais plus
rien. MalgrĂ© cela, je t'ai dit "je t'aime" et l'Ă©motion m'a empĂȘchĂ© de
continuer; mais tu as ouvert les yeux et les as tournés vers moi,
vitreux. Comme pour me faire comprendre que tu entendais, que tu
comprenais. Je t'ai alors donné toutes les caresses et pendant
plusieurs heures j'ai guetté à travers ta respiration et les rùles le
moindre signe de ton amour.
La veille, mardi soir, tu voulais encore prendre ta part de la vie
commune et tu as désiré faire la soupe à l'oignon. Je l'ai pelé, le
gros oignon, et haché menu ; mais tu avais rempli la casserole d'eau
et tu n'arrivais pas à enflammer le gaz. Alors tu as baissé les bras
et tu as fondu en larmes : "je ne peux plus !" Je t'ai enlacée avec
précaution, longuement, avec une grande émotion⊠Comme la premiÚre
fois ! Et tu as reposĂ© ta tĂȘte sur mon Ă©paule. Sanglots et larmes ont
cessé. Et tu pouvais à nouveau réagir avec humour et détachement,
quand un verre ou une assiette se fracassait sur le carrelage..
"Encore une de morte !" Comme aurait dit un homme ivre.
Mercredi matin, le café préparé, je suis allé te réveiller doucement.
"il est quelle heure ?" â "presque 8 heures" Je t'ai aidĂ©e Ă sortir
des draps⊠mais j'ai eu du mal à te soutenir jusqu'à la table du petit
déjeuner.
Tu pensais que je me trompais en te faisant avaler les médicaments du
matin; il a fallu que tu constates l'heure matinale⊠Quelques gorgées
de café au lait t'ont suffi. "C'est assez pour le moment"
J'ai pris deux ou trois minutes pour redresser ton lit et je t'ai
retrouvée, pliée en deux sur le cÎté. Une amie entrait; elle m'a aidé
Ă te transporter assise sur ton siĂšge, jusqu'au lit. Tu dormais. Il
était fréquent que tu t'endormes à table, parfois une tasse à la main.
Et tant pis pour la tasse. Mais, cette fois, le transport ne t'a pas
réveillée. La venue d'autres personnes non plus. On a tenté plusieurs
fois de te ranimerâŠ. Et le mĂ©decin appelĂ© a constatĂ© le coma.
J'en avais pourtant des choses Ă te dire avant que tu partes.
Mais je suis persuadĂ© que tu perçois tout de lĂ oĂč tu es. C'est
pourquoi j'Ă©cris.
Jamais je n'avais imaginé qu'une femme puisse s'intéresser à moi.
D'ailleurs je trouvais en moi-mĂȘme, dans le silence et la solitude,
une source de joie qui me comblait. TrĂšs tĂŽt, j'ai appris que Dieu
Ă©tait partout, qu'il Ă©tait le tout. C'est-Ă -dire que j'ai pu mettre un
mot sur ce que je percevais depuis l'Ă©veil.
Par la suite, j'ai accueilli sans problĂšme les formules et les rites.
Sans distinguer entre Joseph, la Vierge Marie ou le SacrĂ©-CĆur. Maman,
elle, aimait follement "le petit JĂ©sus de Prague"âŠ
A l'Ă©cole des frĂšres, puis des prĂȘtres, j'ai Ă©tĂ© repĂ©rĂ© comme candidat
possible au sacerdoce : ça ne me déplaisait pas; c'était une voie
naturelle pour un garçon comme moi. Maman a pleuré : on croyait
pouvoir compter sur lui et voilà qu'il va vers dix années d'études.
Papa Ă©tait fier, mais il n'a pu s'empĂȘcher de brandir des menaces : si
jamais tu faisais demi-tour, je ne veux plus te voirâŠ
Cependant il est apparu que je n'avais pas les qualités requises pour
ĂȘtre un prĂȘtre de paroisse. Qui joue de l'orgue, organise les
activitĂ©s les plus diversesâŠEt chante juste ! Moi, des vieux missels,
je tirais des airs toujours nouveaux. Et j'ai eu beau faire. Pendant
une dizaine d'années.
Qu'à cela ne tienne, on m'oriente vers les mathématiques et les
sciences pour ĂȘtre enseignant.
AprĂšs 21 ans d'enseignement, je commence Ă trouver que je vais
m'encroûter si je reste là .
On m'Ă©coute Ă moitiĂ©âŠet je suis envoyĂ© prĂšs des gitans.
C'est un tournant décisif : j'avais été jusqu'alors sérieusement
encadré et me voici lancé sur les routes. Je découvre toutes sortes de
gens, trÚs différents du monde ecclésiastique qui bornait mon horizon.
Des hommes, des femmes aussi. Et vivants, en vérité. Non seulement
parmi les "Gens du Voyage", mais aussi parmi les jeunes qui se
dévouent prÚs d'eux.
C'est alors que certains besoins de ma nature, jusque lĂ contenus, se
manifestent et troublent la tranquillitĂ© oĂč je me croyais installĂ©. Je
n'avais jamais imaginé que la tendresse me manquerait à ce point.
Et aussi, la multiplicité des activités m'éloigne peu à peu de la
priĂšre assidue et de la contemplation. Qui peut-ĂȘtre m'auraient retenu
dans le chemin initial.
Bref, je suis bon pour reprendre tout à zéro. Comme un adolescent mal
assuré.
C'est alors que je t'ai rencontrée sur le terrain des
Gitans . Il faut reconnaĂźtre que les circonstances nous ont bien
aidés : pluie diluvienne, autocar déjà parti, voiture qui refuse de
démarrer⊠tout s'est ligué pour que nous fassions plus amplement
connaissanceâŠ
Il devint Ă©vident que je ne pourrais pas poursuivre seul mon chemin.
Je suis allĂ© le dire Ă l'archevĂȘque. Il m'a fait les gros yeux et
laissé entendre qu'il ne me faciliterait pas une "libération"
C'est ainsi que nous avons dĂ» construire, difficilement, notre foyer.
Tu as vaillamment tenu bon pour surmonter les obstacles, enterrer
notre premiÚre enfant, élever les deux garçons suivants, avec
tendresse et fermeté, me soutenir dans mes épreuves et plus tard dans
la maladie.
Tous deux munis de retraites, certes modestes, nous pouvions espérer
vivre la tendresse et partager. Depuis l'Ă©cole primaire tu manifestais
un don pour l'écriture, tu l'as cultivé et les poÚmes coulaient sous
ta main sans difficulté, apparemment. Avec raison, tu savais que je ne
pouvais pas comprendre. D'ailleurs, disais-tu, il n'y a rien Ă
comprendre. Et quand, au début, tu me demandais d'en taper un, j'étais
prié de ne pas le lire.
En plus tu as misé sur la sophrologie que nous avions connue
ensemble 30 ou 40 ans plus tĂŽt. C'Ă©tait une façon moderne d'aider Ă
mieux vivre ceux qui peinaient. Le diplÎme obtenu, tu as exercé une
seule année.
Et te voici terrassée par un mal qui trÚs tÎt se révÚle incurable.
Toutes les informations sur ce cancer de l'amiante ne laissent espérer
que 12 mois de survie. Avec courage, tu affrontes néanmoins les
chimiothĂ©rapies. Catastrophiques : thromboses, emboliesâŠ
Désormais les médecins ne s'occupent plus que de pallier. Les
souffrances requiĂšrent de plus en plus. Tu continues cependant Ă
espĂ©rer une thĂ©rapie nouvelle. MĂȘme expĂ©rimentale
DÚs le début de cette maladie, nous avons convenu de vivre au mieux,
sans rien perdre de ce qui nous serait donné : bien respirer en
remerciant pour cette Ă©nergie encore disponible; marcher quelques pas
sur notre vieux chemin, heureux de le pouvoir encore; savourer une
demi-tasse de café; nous serrer avec délicatesse l'un contre l'autre,
témoignage d'un amour de tendresse et d'attention joyeuse.
Durant ces mois de souffrances et d'incertitudes, jamais de parole
mauvaise, pas de gémissement, pas un regret.
Pourtant, j'ai parfois le sentiment d'avoir volé ta jeunesse : Je ne
t'ai jamais proposé d'aller au cinéma ni au restaurant, d'organiser
fĂȘtes ou distractions, d'entreprendre un voyageâŠTu as vĂ©cu prĂšs de moi
une existence de quasi-recluse. Mais tu ne m'as jamais fait de reproche.
Par contre, ta lucidité, ton sens inné du beau, du vrai, m'a épargné
de replonger dans des spiritualités de pacotille. Progressivement nous
allions nous rejoindre pour cultiver la joie qui se rit des accrocs de
l'existence. La joie essentielle, qui n'a guĂšre besoin de nourritures
artificielles.
A présent, tu n'en as pas fini avec moi : je demeure à ton écoute, tu
me guideras quand le brouillard risquera de m'Ă©garer. Je m'attends
mĂȘme Ă des signes, comme toi-mĂȘme en reçus, en de cruciales
circonstances.
Tu le sais bien, mais il faut que je te le dise, encore et encore, Je
t'aime..."